Le blog du Président de la FAGE

Régulièrement, la présidente ou le président de la FAGE publie une tribune sur des sujets liés à l'enseignement supérieur et la recherche, à la jeunesse ou à la société.

Vous pouvez également y retrouver des articles de ses prédécesseurs Paul Mayaux, président de 2020 à 2022, Orlane François, présidente de 2018 à 2020, Jimmy Losfeld, président de 2016 à 2018 ainsi qu'Alexandre Leroy, président de 2014 à 2016.

01/09/2016

Contrôle Continu : Madame la Ministre, laissez-nous faire !

C’est donc sans prévenir, sans un courrier, sans même un modeste coup de fil que les membres de la communauté universitaire ont appris la semaine dernière l’enterrement du projet d’expérimentation du contrôle continu intégral dans les universités. Cette décision unilatérale et violente du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche rompt avec plusieurs mois de dialogues sereins, conduits sur les chantiers ô combien importants que sont l’évaluation et le master. Entre mépris des efforts consentis par les équipes des universités volontaires et défiance envers la capacité de la communauté universitaire à innover en faveur de l’intérêt général, cette décision n’est ni plus ni moins un « sale coup ». Sale coup pour le dialogue social, sale coup pour la confiance qui peut être accordée aux promesses de ce ministère, sale coup pour l’autonomie pédagogique.

Réclamée depuis de long mois, l’expérimentation en question visait à permettre à cinq universités de tester une nouvelle manière d’évaluer l’acquisition des compétences des étudiant.e.s. Loin d’induire une modification définitive des textes, elle était au contraire destinée à permettre un cadre juridique stable rendant possible l’expérimentation du contrôle continu intégral et produisant les données et chiffres nécessaires à l’évaluation de sa pertinence au regard de plusieurs impératifs. Pour la FAGE, ceux-ci correspondent à une juste appréciation du degré d’acquisition des compétences, à une flexibilité du dispositif au regard de la pluralité des réalités des étudiant.e.s (salarié.e.s, parents, artistes, sportifs, etc.) et au caractère formatif et pédagogique de la modalité d’évaluation, loin de n’être qu’un outil de tri, de classement. Finalement, il ne s’agissait que d’autoriser la communauté universitaire à tester une manière de mieux faire réussir les étudiant.e.s.

Plus que l’interdiction de l’expérimentation du contrôle continu intégral dans cinq universités, ce que condamne cette décision aussi violente qu’inattendue du ministère c’est la reconnaissance même de la légitimité d’innovation pédagogique des communautés universitaires, de leur capacité d’agir sans tout attendre de la tutelle, de l’Etat.

Plus que l’interdiction de l’expérimentation du contrôle continu intégral dans cinq universités, ce que condamne cette décision aussi violente qu’inattendue du ministère c’est la reconnaissance même de la légitimité d’innovation pédagogique des communautés universitaires, de leur capacité d’agir sans tout attendre de la tutelle, de l’Etat.

Dans chacune de ces cinq universités, les équipes ont manifesté leur volonté majoritaire, voire parfois unanime de mener cette expérimentation. Etudiant.e.s, personnels, enseignant.e.s et président.e.s d’universités ont réussi, collectivement, à créer les conditions d’un dialogue au service de l’innovation pédagogique. La volonté d’expérimenter le contrôle continu intégral émane d’ailleurs de l’expression démocratique de la communauté étudiante elle-même : dans les cinq universités en question, les listes soutenues par la FAGE proposaient cette expérimentation. Ces listes ont largement dominé ces scrutins, recueillant plus de 77% des voix à Strasbourg et Lyon 1, 75% à Avignon, et jusqu’à près de 90% des voix à Brest.

Face à cette volonté quasi-unanime d’expérimenter un dispositif qui, en 2012 à Avignon permettait une augmentation de près de 25% du taux de réussite au premier semestre de L1 AES, le ministère annonçait au printemps qu’il permettrait un cadre d’expérimentation pour ces cinq universités. Le ministère prévoyait ainsi de modifier l’arrêté licence afin d’ouvrir un cadre juridique stable pour l’expérimentation ; les services du ministère ont dès lors contacté chacune de ces cinq universités pour leur demander très précisément les informations relatives au champ de l’expérimentation, quelles filières, quelles modalités, etc... Le délai étant contraint, les communautés universitaires et les conseils d’élu.e.s n’ont pas ménagé leurs efforts pour répondre à la sollicitation du ministère et pour permettre une expérimentation dès la rentrée 2016. Quelle ne fût pas leur stupeur, leur déception et leur colère lorsqu’elles furent avisées de manière froide et impersonnelle de l’enterrement de l’objet de leurs efforts collectifs.

La rétrospective est utile en ce qu’elle nous enseigne : en 2016, au sein de l’Université française, c’est la ministre elle-même qui doit statuer sur la meilleure manière d’évaluer telle ou telle acquisition de compétence. Laisser l’occasion, ne serait-ce que de tenter quelque chose de neuf, c’est bien trop d’affronts faits au centralisme. Et tant pis si cela aurait pu produire plus d’effets sur la pédagogie et la réussite étudiante que quinze ans de réformes infructueuses ; faut pas pousser.

Ce que cette rétrospective malheureuse de la tentative d’expérimentation du contrôle continu intégral illustre c’est l’extrême frilosité de nos responsables politiques à faire confiance à celles et ceux qui agissent : les enseignant.e.s, les élu.e.s des conseils démocratiques, les communautés universitaires. Et c’est un sujet très sérieux : celui de l’autonomie pédagogique des équipes. Par équipe, j’entends les communautés, étudiant.e.s, enseignant.e.s, personnels, personnalités extérieur.e.s, représentant.e.s de l’écosystème de l’université, etc. Le camouflet infligé est d’autant plus significatif qu’il condamne bien plus que le contrôle continu intégral, il condamne le droit d’expérimenter, de confronter ses représentations, de chercher, de débattre afin de trouver, d’évaluer et de critiquer des manières nouvelles de faire. Car, finalement, qu’on soit pour ou contre l’aspect « intégral » du contrôle continu – que la FAGE a mainte fois justifié par de multiples contributions- n’est pas tant la question. La question est bien : peut-on sereinement innover ou doit-on tout attendre du politique, de l’Etat. 

Il ne sert à rien de chercher à répondre à la question, la Ministre l’a fait pour nous.

Et qu’on ne vienne pas ici nous servir la soupe dogmatique et populiste de la défense d’une vision passéiste de l’évaluation laissant faussement à penser que seconde chance est nécessairement synonyme de « rattrapages ». Quoi, les 89% d’étudiant.e.s brestoi.se.s, les 77% d’étudiant.e.s strasbourgeois.e.s et lyonnais.e.s ne seraient pas légitimes à vouloir s’essayer à une nouvelle manière de penser l’évaluation ? Quoi, les équipes pédagogiques, composées de professionnels de l’enseignement, ne seraient pas dignes de la confiance de madame la ministre ? Quoi, les conseils élus, représentatifs de la diversité des communautés universitaires, ne seraient pas en capacités de débattre ensemble de solutions innovantes permettant une meilleure réussite de toutes et tous ?

Madame la Ministre, notre requête est on ne peut plus simple : laissez-nous faire.

Finalement, comme souvent, c’est le service public qu’on pénalise. Il n’y a en effet qu’à l’Université qu’on interdit ainsi à des équipes de tester des solutions co-construites par la communauté et visant à mieux faire réussir les étudiant.e.s. Les grandes écoles, dont sont issu.e.s une bonne partie de la classe politique ne sont pas entravées par tant d’obstacles. Le parallèle avec la question budgétaire n’est d’ailleurs pas irréaliste : si l’on donnait les mêmes moyens, budgétaires comme pédagogiques aux universités qu’aux grandes écoles, nous permettrions concrètement de nous fixer l’objectif de faire mieux réussir –académiquement, socialement, professionnellement- l’ensemble d’une génération. Nous redonnerions surtout à voir le sens et l’importance vitale de ce service public pour notre société. Nous témoignerions de respect à celles et ceux qui en portent les valeurs par leurs efforts quotidiens.

Madame la Ministre, notre requête est on ne peut plus simple : laissez-nous faire.

Lorsque celles-ci parviennent à un dialogue, un consensus, une solution co-construite, laissez les communautés expérimenter, innover et créer. Les cadres nationaux garantissant l’égalité nécessaire sur le territoire existent ; la FAGE a d’ailleurs largement contribué à la création du Cadre National des Formations. S’il est besoin de préciser ces cadres, s’il est besoin de créer des principes, des guidelines, faisons-le ! Mais cessons de brider les forces de progrès, les forces d’innovations et de dynamisme sous prétexte qu’un quarteron de rétrogrades s’estime trop à l’aise dans le statu quo pour envisager toute ambition.

A trop décourager ceux qui font, Madame la Ministre, vous renforcez immanquablement ceux qui, se refusant à tout changement, s’agitent pour que surtout rien ne se fasse.
A trop décourager ceux qui font, vous vous exposez à créer un horizon politique d’immobilisme et de résignation.

Nous ne vous demandons ni de votre temps, ni même de votre argent Madame la Ministre. Ce que nous demandons, c’est simplement de nous laisser faire, de laisser s’organiser les forces vives et de leur apporter ce qu’il faut de considération pour créer à leur destination un cadre dans lequel, en respect des priorités et principes de la nation, elles peuvent générer du pouvoir d’agir !

Et ça tombe bien Madame la Ministre : il vous reste sept jours pour rétablir l’ouverture de cette expérimentation du contrôle continu intégral à l’ordre du jour du CNESER. Ce sans quoi il vous sera sans conteste nécessaire de venir nous rappeler le rôle qui doit être le nôtre en son sein ; s’il s’agit de n’être que des acteurs d’une chambre d’enregistrement des injonctions étatiques et non des forces de propositions, n’y voyez pas d’affront Madame la Ministre, mais en ce qui nous concerne, nous passerons notre tour. 

Tribune rédigée par Alexandre Leroy, Président de la FAGE de 2014 à septembre 2016.

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de cookies pour vous améliorer votre navigation, réaliser des statistiques de visites et vous donner accès à certaines fonctionnalités comme le tchat. En savoir plus et paramétrer les cookies individuellement