50 ans après la loi Neuwirth, la société défie-t-elle les avancées sur la sexualité ?

12/12/2017

Considérée comme un grand moment de la vie parlementaire de la Vème république, la loi Neuwirth met fin, après 47 ans d’existence, à la loi réprimant la provocation à l'avortement et à la propagande anticonceptionnelle. Elle ouvre aussi la voix à un long combat féminin en faveur de la « maîtrise de la fécondité ».

Un homme porteur de cette loi

Lucien Neuwirth est un ancien combattant de la France Libre. Réfugié à Londres, il découvre « la gynomine », premier contraceptif en vente libre dans les parfumeries anglaises. De retour en France, il devient conseiller municipal de Saint Etienne. Confronté aux difficultés des couples en milieu ouvrier, il côtoie les effets dramatiques de la loi nataliste de 1920, encore en vigueur au lendemain de la guerre. Devenu député en 1957, il proposa en 1966 avec l'aide de Pierre Simon une proposition de loi dépénalisant la contraception. Qualifié de « Fossoyeur de la France » par ses adversaires, il parviendra après un an et demi de débat à faire voter cette loi.

Si son nom est associé à cette loi emblématique, Lucien Neuwirth est aussi à l’origine, en tant que sénateur siégeant à la commission des Affaires sociales, des lois sur la prise en charge de la douleur (1995) et sur les soins palliatifs (1999).

La loi neuwirth et ses évolutions

La loi Neuwirth met fin, après 47 ans d’existence, à la loi réprimant la provocation à l'avortement et à la propagande anticonceptionnelle. Loi évolutive, elle supprime les termes « anticonceptionnels » et « propagande anticonceptionnelle » de la loi de 1920. Bien que promulguée en 1967, il faut attendre 1969, pour que les deux premiers décrets de la loi soient publiés : le premier sur la fabrication, l’importation et la vente des contraceptifs, le deuxième sur les modalités de leur délivrance aux patientes. Les derniers décrets ne seront publiés qu’en 1972.

Pour l’historienne Bibia Pavard « l’un des arguments avancés pour adopter la loi Neuwirth, c’était de dire que c’est un moyen de lutter contre l’avortement clandestin et qu’une fois la possibilité d’accéder aux contraceptifs modernes, l’avortement allait disparaître. » Symbole d’une véritable révolution, cette loi a favorisé l’espérance de vie des femmes en leur permettant d’espacer leurs grossesses.

Malgré les avancées qu’elle apporte, elle apparait en demi-teinte : en effet, elle est restrictive au vu de l’interdiction de la vente de contraceptifs aux mineurs et inégalitaire au regard de l’absence de prise en charge du moyen contraceptif par la sécurité sociale.

Pour la gynécologue obstétricienne Danielle Gaudry, « les années 70 ont amené les éléments législatifs qui étaient les reflets d’une évolution sociale. La société et les mouvements féministes poussaient énormément les politiques. » Ainsi la loi Neuwirth a été modifiée par Simone Veil en décembre 1974, qui supprima l’autorisation parentale pour les mineures désireuses d’acheter un moyen de contraception et entérina le remboursement de la contraception par la sécurité sociale.

D’autres lois vont poursuivre le combat féministe amorcé par Lucien Neuwirth et Simone Veil. Par exemple, la loi du 31 décembre 1991 autorise les centres de planification ou d’éducation familiale à délivrer, à titre gratuit, des médicaments, produits ou objets contraceptifs sur prescription médicale aux mineures. Celle de juillet 2001, portée par Martine Aubry et Elisabeth Guigou, augmente le délai de recours à l’avortement, en le faisant passer de 10 à 12 semaines (de 12 à 14 semaines d'aménorrhée).

Que vous évoque la loi Neuwirth de 1967 ? La parole aux administrateurs de la FAGE

  • « Le droit pour une femme mais aussi pour un homme de décider »
  • « La liberté de son corps »
  • « Cette loi doit continuer d’exister et d’être promue auprès des jeunes car toutes les femmes doivent pouvoir décider du moment où elles deviennent mères »
  • « Un droit universel »
  • « Une loi révolutionnaire pour la femme qui aurait dû arriver bien plus tôt »
  • « La liberté des femmes de disposer de leur corps, de décider de leur avenir et de leur planification familiale »
  • « 50 ans de liberté des femmes, 50 ans de droits. On pense que c’est un droit depuis toujours ? Et ben non ! Et certains pensent que le combat est terminé ? 50 ans, c’est peu quand on sait qu’on est en 2017 »

Et aujourd’hui ?

L’année 2013 a été marquée par le scandale des pilules de 3ème et 4ème génération, qui a surtout mis en avant les effets secondaires de ces pilules : embolie, thrombose, AVC, etc. Tant plébiscitée par les féministes des années 1970, la pilule suscite désormais la défiance. Selon l’historienne Bibia Pavard, la défiance envers la pilule est « révélatrice d’un nouveau rapport au corps, à la nature, aux médicaments. Aujourd’hui on n’a plus confiance totalement dans notre système de santé et on est méfiant vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique ».

Par ailleurs, le conseil de l’Europe a dernièrement alerté sur des « restrictions rétrogrades » qui ont entraîné un recul du droit des femmes en matière d’accès à la contraception et à l’avortement en Europe. Nils Muiznieks, commissaire aux droits de l’Homme, souligne que « ces dernières années, des menaces résurgentes pour la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes ont émergé en Europe ». La Pologne a réintroduit une loi obligeant à obtenir une prescription médicale pour accéder à un moyen de contraception d’urgence. En Italie, sept professionnels de santé sur dix refusent d’autoriser un avortement invoquant une clause de conscience.

Si la France n’est pas visée dans le rapport européen, rappelons que l’Etat a dû légiférer à plusieurs reprises (1993, 2001 et 2014) pour interdire l’entrave à l’IVG. Ce délit d’entrave sanctionne le fait d'empêcher, ou de tenter d'empêcher, une IVG en perturbant l'accès aux établissements, ou en exerçant des menaces sur le personnel ou les femmes concernées. Une nouvelle loi a été débattue en 2016 pour étendre ce délit aux sites internet diffusant des informations « biaisées » sur l'avortement. Opposant les « défenseurs de la liberté d’expression » aux « protecteurs des femmes », le conseil constitutionnel a jugé le 16 mars dernier conforme à la Constitution la loi relative à l'extension du délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse mais en expriment deux importantes réserves.

Aucun droit n’est jamais totalement acquis. Une loi peut être abrogée par une autre loi. Seule l’éducation, la vigilence et l’engagement citoyen peuvent garantir la pérennité de ce droit. C’est pour cela que l’éducation à la santé sexuelle doit être un des principaux enjeux de l’éducation nationale aujourd’hui : l’accès à l’information ne suffit pas, la transmission de l’histoire et le travail sur les représentations sont nécessaires pour faire avancer la société. Comme l’a écrit Lucien Neuwirth « Trop nombreux sont ceux qui pensent encore comme des hommes du XXème siècle, alors que nous venons d’être projetés dans le XXIème »

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